Je pourrais facilement dédier un chapitre en entier de mon futur livre pour décrire les moments que nous avons vécus dans les derniers jours. J'étais en compagnie de Martin qui est photographe/journaliste à La Presse depuis plus de 23 ans déjà.
Il avait pour but de m'assister dans une aventure en pleine forêt en établissant un site de campement en portage sur un lac en altitude des Chic-Chocs. Il tenait à ce que je fasse exactement la même chose que si j'étais seul comme à l'habitude. Sur le chemin du retour, ses mots étaient les suivants : "En 23 ans de carrière à La Presse, c'est un de mes plus beaux et mémorables moments".
Je vous raconterai cette aventure en 4 parties.
Partie 1/4
Martin est arrivé chez moi à Cap-Chat vers 18h00 la veille de notre départ. Son projet de vivre une expérience hors-du-commun en plein milieu sauvage m’interpelait beaucoup. Le but était d’écrire un article dans la Presse pour décrire son expérience en ma compagnie dans l’arrière-pays gaspésien. En soirée, on commence à préparer tous nos trucs en but de notre portage en kayak vers notre lieu de campement en milieu sauvage à plus de 550m. À ce moment, il pleut, c'est une averse. On essaye de ne pas trop y penser, mais la possibilité de passer notre expédition dans une pluie battante non-stop est bien réelle. Je regarde différents modèles de météo et ils semblent tous sur le même petit espoir qu’il pourrait y avoir un dégagement potentiellement en début de journée. C’est à ça qu’on s’est accroché.
À 21h30, on est pas mal prêt notre courte nuit. Courte parce que le cadran est à 1h30am dans le but d’un départ à 2h00am maximum. Le plan de match était de faire d'une pierre deux coups en faisant la route vers notre lieu de départ en portage tout en synchronisant ça avec un lever de soleil. On n'avait pas nécessairement d’espoir pour une lumière, mais au moins ça nous permettrait de faire un peu de prospection et une lecture du terrain pour y voir le déplacement des orignaux dans ce secteur au cours des derniers jours.
On part de chez moi à Cap-Chat peu avant 2h00am vers notre aventure qui s’annonce fantastique. Même si les conditions météos sont incertaines et que la présence de faune sauvage demeure incertaine c’est absolument fantastique ! On se dirige vers le plein bois loin de tout en prospection d’orignaux et en écoute de tout ce qui se passe aux alentours de nous. En partant avec cet état d’esprit, ça ne peut jamais mal aller.
On arrive vers 3h30am. La route se passe bien et la pluie semble s’estomper de plus en plus. On dirait bien que les modèles météos avaient raison ! On ne voit pas très bien, mais on se dirige vers le lac et on peut facilement y percevoir les nuages entre le sommet des montagnes et le lac. C’est de toute beauté. Déjà là, on se regarde en se disant : « Ostifi que c’est beau ! ». On retourne vers la voiture pour continuer de rouler un peu plus loin dans le chemin forestier en recherche d’indices de présence d’orignaux.
À 4h26, nos kayaks sont à l’eau. On a tout laissé notre matériel d’expédition dans la voiture parce qu’on avait comme plan de match de revenir chercher le tout avant de partir en portage. Ça n’a pas été long qu’on a pu apercevoir un Plongeon Huard un peu plus loin qui s’alimentait dans le lac. Au loin, on entend son ou sa partenaire qui chante. Le chant du Huard résonne partout sur le lac. C’est magique. À ce moment-là, je sais que je suis à la bonne place au bon moment. J’oublie un peu la présence de Martin et je me mets dans « mon mode » de recherche à l’affût de tout ce qui se passe. J’observe des Chevaliers grivelés, des Chevaliers solitaires, quelques familles de Garrot à oeil d’or, un Pygargue à tête blanche et plusieurs Jaseurs d’Amérique. C’est vraiment génial de voir ces espèces dans cette ambiance qui est complètement capotée.
À 6h19, la magie de la magie de la magie se produit. Une magnifique et gigantesque femelle orignal apparaît en bordure de lac. Ma première pensée était pour sa taille. Elle était très imposante comme ça hors de l’eau. Je voyais très bien les formes définies de son corps. J’en ai vu d’autres, mais celle-ci était franchement impressionnante. Martin capote autant que moi pour différentes raisons, sans doute parce qu’il n’avait pas souvenir d’avoir déjà vu un orignal. Pour une première observation, il a été plus que béni !
On a donc pu l’observer pendant une quarantaine de minutes alors qu’elle se promenait tout en s’alimentait. Elle dégageait une force, un contrôle et une sagesse. C’était vraiment spécial. J’avais l’impression qu’elle avait beaucoup à m’apprendre. Elle a donc fini par reprendre le bois pour aller se coucher, sans doute car elle avait déjà commencé son cycle de ruminage en marchant dans l’eau…..
Partie 2/4
Suite à notre fantastique rencontre avec la belle et très imposante femelle orignal dans l'eau, Martin et moi sommes retournés à la voiture pour ramasser l'entièreté de notre matériel photo ainsi que celui du campement. Disons qu'on n'y a pas été le plus léger possible... On en avait comme vraiment beaucoup à bord de nos embarcations. On a finalement accosté à l'extrémité ouest du lac et on a marché dans le bois pour trouver le meilleur endroit où s'installer. Martin avait ma tente et moi j'avais un hamac.
On a finalement trouvé un coquet endroit au beau milieu des épinettes matures qui étaient coiffées de beaux lichens arboricoles. On n'avait que très peu dormi alors on s'est fait à manger et on s'est enligné pour un beau dodo. Il est environ 9h30am à ce moment, mais on a tous deux l'impression qu'il est bien plus tard. Ça n'aura pris que quelques secondes avant que je parte au pays des merveilles. Il faisait environ 20 degrés avec plusieurs percées de soleil. C'était fantastique. Vers 14h30, je me réveille parce qu'il pleut. J'enfile donc mon imperméable et je me rendors dans mon hamac sous la douce pluie des montagnes.
On s'est réveillé vers 17h30 pour retourner à nos kayaks pour le coucher de soleil. Le coucher de soleil était absolument magnifique. Entre nuage de pluie et soleil, les nuages étaient rosés et l'eau du lac était des plus calme. Cependant, nous n'avons pas eu l'opportunité d'observer de faune. Pas grave, c'était tout de même franchement incroyable.
23h00. Je m'ouvre les yeux et.... WOW ! Je perçois tout de suite la voie lactée et elle est superbe. Martin se réveille et on s'est mis en mode "photo de nuit". Martin a pris des photos incroyables avec un équipement beaucoup plus technique que le mien c'était vraiment très joli. Pour ma part, je me suis installé en bordure de lac devant mon kayak pour saisir le moment. C'était magistral.
Partie 3/4
Vers 1h30 du matin, on avait pas mal pris toutes les photos qu'on avait en tête de cette magnifique voie lactée qui scintillait au-dessus de nos têtes. On est retourné à notre campement pour dormir un peu avant le réveil qui était prévu pour 4h00 du matin. À ce moment-là, on sent vraiment le froid. Ça fait déjà plusieurs heures que la température chute. À 1h30 du matin, il faisait environ 8 degrés.
Ce n'était pas tout à fait prévu pour une nuit d'été complètement dégagée. Je n'avais donc pas amené de sleeping bag. Je me suis donc mis l'entièreté des couches que j'avais et je suis allé dans mon hamac pour faire la sieste. Ça n'a pris que quelques secondes et je me suis endormi.
2h45am. Je me réveille par le froid. Je grelotte. La température avait encore plus chuté. À ce moment-là, il fait certainement moins de 5 degrés. Je n'ai donc pas le choix de me lever et de m'activer pour reprendre ma chaleur. Je me suis fait un bon thé chaud que je me suis mis à siroter tout en marchant dans le bois avec ma frontale. Les minutes passaient terriblement lentement... Le froid était de plus en plus présent, mais je restais actif.
3h30am. Nos yeux commencent à percevoir une certaine luminosité venant de l'Est. Enfin, le soleil est pour bientôt. Martin et moi préparons notre matériel de photo pour partir à la recherche d'orignaux sur le lac. Le lac était magnifique et si calme. On entendait les sittelles, les merles, les Quiscales, les Garrots, les Huards et les Jaseurs qui commençaient à s'activer en même temps que nous.
4h01am. Martin me dit "Y'en a un dans l'eau !". Je m'avance vers lui et je remarque tout de suite cette belle femelle orignal qui s'alimentait dans ces longues herbes vertes qui sortaient de l'eau. On trippe. On trippe solide ! On n'avait même pas commencé à pagayer qu'elle était là à environ 150 mètres de nous. La première chose que je me suis dit est "Ça vaut toujours la peine de faire attention au bruit qu'on fait en pleine nature sauvage."
4h15am. J'établis un plan de match avec Martin. Le mot clé est patience. Nous devions être suffisamment patients pour laisser l'animal faire ce qu'elle avait à faire avant même qu'elle ne remarque notre présence. On a donc décidé de marcher dans le bois un peu pour ressortir à un autre endroit pour tenter une approche délicate et lente directement dans l'eau, sans nos embarcations.
4h40am. L'approche est parfaite et l'animal n'a jamais été dérangé par notre présence. Même qu'au contraire, elle s'est mise à avancer vers nous lentement, mais sûrement. J'ai donné quelques consignes à Martin et plus elle avançait vers nous dans le lac, plus on reculait vers le bois. J'avais compris ce qui s'en venait, donc en toute sécurité dans le bois, on a pu vivre un superbe moment alors qu'elle est passée à 7-8m de nous tout en s'alimentant. C'était magique !
Partie 4/4
Après être passée devant nous, la femelle orignal s’est dirigée vers l'eau un peu plus profonde où la nourriture y est présente. La lumière était de plus en plus présente. Une brume bien opaque à la surface du lac donnait une ambiance extraordinaire à la scène que nous avions devant nous. Martin et moi sommes embarqués dans nos kayaks et nous avons pagayé vers elle tout en prenant en considération la lumière et les intentions de la femelle orignal.
Tout était absolument bucolique. La beauté de la femelle, la lumière bleutée, la brume au-dessus du lac, le vent quasiment absent et le bruit de l’eau qui flacottait à chaque sortie de l’eau. Je ne sais pas si elle nous a reconnu, mais nous étions assez proche et elle ne se souciait absolument pas de notre présence. J’ai pris plusieurs centaines de photos et quelques séquences vidéos comme celle-ci.
Elle a fini par quitter le lac environ 1h après y être entrée. Elle ruminait déjà en marchant hors de l’eau, donc elle s’était remplie le bedon bien comme il faut. Nous nous sommes donc dirigés vers notre campement à environ 300m de l’eau pour ramasser tous nos trucs avant de repartir vers la mer.
Je pagayais vers notre campement avec le gros gros sourire aux lèvres. Les yeux grands ouverts de reconnaissance envers cette femelle orignal qui venait de me faire vivre un moment unique. J’arrive au campement et je parle avec Martin à propos de l’extrême privilège auquel on avait eu droit. Nous avions quitté l’eau depuis 30 minutes déjà et la magie a recommencé…
Nous étions en train de ramasser notre matériel en l’amenant sur le bord du lac et en me levant la tête je vois une paire d’oreille en bordure du lac. Je me tasse un peu à ma droite et je la reconnais tout de suite ! C’est la même femelle que nous venions d’observer ! Elle était juste là, curieuse encore une fois de notre présence. Je n’en revenais pas !
Alors voilà ! J’espère que vous avez apprécié. Si vous avez des suggestions ou commentaires, n’hésitez pas ! Merci beaucoup !
Éric D
Voici une photo que Martin Chamberland a pu prendre lorsque j'étais en action.
Magnifique et que de souvenirs vous m'apportez. Si un jour à Cap-Chat je vous aperçois, je vous raconterai ma conversation avec un orignal immense près d'un petit lac de la réserve Matane. Ma compagne s'inquiétait plus qu'à l'ordinaire et on en rit maintenant